Accueil Magazine La Presse Mrad Mahjoub, entraineur de football: «J’essaie d’être le plus juste possible»

Mrad Mahjoub, entraineur de football: «J’essaie d’être le plus juste possible»

Mrad Mahjoub promène depuis près de quatre décennies sa silhouette de fin stratège du sport-roi, passant par toutes les expériences possibles: entraîneur des quatre grands clubs du pays, mais aussi des moins nantis, des équipes nationales séniors et juniors… Acteur privilégié des compétitions les plus renommées des pays du Golfe…, son grand vécu l’autorise à faire autorité. 

Né le 26 septembre 1946 à Tunis, notre invité a évolué entre 1961 et 1966 parmi  les cadets, juniors, et espoirs de l’Espérance Sportive de Tunis. Avec les séniors «sang et or», il ne disputa qu’un seul match. Entamée en 1982, sa carrière d’entraîneur l’a vu coacher l’EST à deux reprises, l’ESRadès, l’équipe nationale junior et l’équipe nationale A (1990-93), l’ESZ, le CA à deux reprises, le CSS, le ST, l’ASM, la JSK, l’ESS, Al Ittifak Dammam en Arabie Saoudite, Al Ain, Al Chabab, Al Chaâb et Al Sharjah aux Emirats arabes unis, et Al Ahly du Qatar. A son palmarès, une Ligue des champions arabes 2004 avec le CSS, la coupe nord-africaine des clubs champions 2010 avec le CA, les coupes du Golfe avec Al Ain et Al Chabab, et le championnat des Emirats avec Al Chabab. Par ailleurs, il a été élu avec Al Ain meilleur entraîneur du Golfe.

Mrad Mahjoub, votre incroyable histoire consiste en des débuts fracassants en tant qu’entraîneur, alors que votre carrière de joueur seniors se résume à un seul petit match. Comment cela est-il possible ?

Effectivement. C’était un match de coupe Hedi Chaker que je n’ai pas terminé du reste. Il faut demander à Abderrahmane Ben Ezeddine pourquoi il m’a fait sortir. Je me rappelle y avoir donné une passe décisive. J’avais démarré avec les cadets. Avec Mahmoud Babbou, lors d’un derby junior face au CA, j’ai brillé. La semaine d’après, on me demandait de passer chez les Espoirs. On n’a pas aimé que je discute cela. On m’a demandé de me taire, c’est tout. J’ai claqué la porte. Pourtant, je suis très discret. J’avais ma philosophie à moi. J’ai essayé de m’exprimer sur le banc sans ressentir beaucoup de frustration. Dans mon esprit, ce n’était pas la catastrophe. Je ne ressens aucune frustration, je ne regrette jamais ce que je fais.

Votre reconversion a en vérité démarré dans un petit club, l’ES Radès…

J’enseignais le sport au lycée Sadiki où il y avait un prof de Maths, Hedi Annabi, qui était responsable à l’Etoile Sportive Radésienne. Il m’a sollicité pour prendre en main son équipe, je l’ai fait gratuitement. Nous allions parvenir jusqu’en quarts ou demi-finales de la coupe de Tunisie. Une performance impensable au départ. Malgré le peu de moyens, nous avons abattu un grand travail.

Votre qualification au Mondial soviétique avec l’équipe nationale junior reste votre haut fait d’armes, non ? 

Il y a de petits souvenirs qui viennent et s’en vont. Les meilleurs souvenirs, ce ne sont pas forcément les titres. Je ressens une fierté légitime à l’idée que cette sélection-là a sorti quatre ou cinq joueurs formés par mes soins qui ont marqué toute une génération, y compris en sélection. C’est là un motif de satisfaction légitime. La présence au Bureau fédéral de gens passionnés et compétents, de grands cadres de la nation a aussi été décisive: Salah Ben Jannet, Ahmed Bellil, Ridha Azzabi, Moncef Cherif, Aziz Miled qui était responsable de cette sélection. Je ne crois pas que l’argent guidait mon action. C’est la passion qui la guidait. Je gagnais trois fois rien. L’argent, c’est dans le Golfe que j’étais allé le chercher.

Dans l’ex-Union Soviétique, vous avez été éliminé dès la phase de poules

On était parti dans l’inconnu sans connaître nos adversaires. L’information a pourtant beaucoup d’importance.

Pourquoi a-t-il fallu attendre une éternité pour revoir une sélection des jeunes à un tel niveau ?

Le talent a toujours existé. Ce sont les mentalités qui ont changé avec l’intrusion de l’argent. Celui-ci a motivé et attiré un autre genre de personnes. En 1985, on m’a donné la possibilité de travailler. Tout le monde était derrière cette équipe, tous les acteurs étaient mobilisés. Nous effectuions nos stages dans la caserne du Bardo, et ne gâtions pas les footballeurs.

Le souvenir de la défaite en finale de la Ligue des champions 2006 avec le CSS  vous hante-t-il toujours ?

Et comment ! Après cette finale, j’étais dégoûté par le football, très déçu par tout ce qui tourne autour: CAF, arbitrage, le CSS aussi. Cette finale m’a fait comprendre que le jeu ne suffit pas. Il y a d’autres paramètres du succès que le jeu. J’ai également saisi que le sport tunisien ne peut se porter bien que lorsqu’il est bien représenté dans les instances internationales.

Si c’était à refaire, feriez-vous les mêmes choix ? Auriez-vous abandonné le stade Mhiri pour l’enceinte de Radès ?

Pour ma part, je voulais jouer au Mhiri. Seulement, des considérations financières ont primé. Après une première période extraordinaire, on a marqué dès la reprise un but tout à fait régulier refusé par le Béninois Coffi Codjia. Bizarre: le juge de ligne  signalait systématiquement hors jeu chaque fois où nous attaquions. Wissem Abdi, suspendu, nous a beaucoup manqué ce jour-là. Mon regret, c’est que dans les derniers instants, alors que nous tenions notre coupe de main ferme, j’ai tardé de deux ou trois minutes à faire entrer Ben Amor. Mais au bout du compte, c’est au CSS que je me suis senti le plus à l’aise durant ma carrière. J’ai eu à mes côtés un grand dirigeant, le président Slaheddine Zahaf, l’un des rares à vous mettre une pression positive.

En sélection A, votre parcours n’a pas été brillant. Le Maroc a en effet éliminé les Aigles du Mondial…

On m’a recruté très jeune. En général, la sélection A, c’est le couronnement d’une carrière. Il faut beaucoup d’expérience, car le travail y est très pointu et précis. Comme toujours, mon problème, ce n’était pas avec les joueurs. Plutôt avec les responsables, ou plutôt certains d’entre eux. Je ne me laissais pas marcher sur les pieds. J’ai ainsi écarté Maâloul. Si je faisais une concession, j’allais en souffrir après. Je suis indépendant et ne supporte pas l’injustice. J’essaie d’être le plus juste possible, cela a été de tout temps mon credo.

Au CA, cela n’a pas marché très fort non plus…

Pourtant, j’ai voulu en faire le meilleur ensemble possible. Mais il y avait alors trop de mauvaises habitudes. J’ai toujours nourri beaucoup de sympathie pour le CA. En fait, même si toute ma famille est «sang et or», je n’ai aucune antipathie pour les autres clubs.

Quelle a été votre expérience la plus difficile ?

Au Stade Tunisien. Le conflit au sein du Bureau qui a amené Mohamed Achab à démissionner s’est répercuté négativement sur les performances de l’équipe seniors. 

Auriez-vous perdu aujourd’hui toute envie d’exercer votre vocation d’entraîneur-éducateur ?

Vous avez parfaitement raison de poser la question, car cela fait quasiment une décennie que j’ai disparu de la circulation comme on dit. En 2010, j’ai eu de petits problèmes de santé qui ont nécessité une opération et du repos. Depuis la Révolution, quand je vois comment ça se passe dans le football, je n’ai plus envie de reprendre du service. 

Après presque quarante ans de carrière d’entraîneur, qu’attendez-vous du football encore ?

J’essaie à présent de rendre service au foot par d’autres moyens, avec plus de spécificités. Autrement, je suis bien, je ne demande rien. Des entraîneurs me sollicitent pour un conseil, et je le fais de bonne grâce. En fait, je sais ce que je veux, je prends du recul. Par exemple, un Bureau fédéral composé de vétérans qui ont rendu des services au foot national. C’est un service public où l’on place l’élite possédant le charisme. La première option consiste à redonner à la direction nationale technique ses prérogatives et ses lettres de noblesse.

Considérez-vous que le FB vous a donné énormément ?

Peut-être bien. Là où je vais, les gens m’acceptent de bon cœur. C’est le bien le plus précieux. Je n’entraîne plus depuis assez longtemps. Pourtant, je n’ai pas perdu la sympathie des gens. L’idée qu’ont les autres de moi, c’est ce qui m’intéresse le plus.

Vous est-il arrivé de vous sentir incompris ?

Parfois, vous proposez des choses, mais les gens ne sont pas prêts à construire. Le plus important dans le football, c’est de jouer juste, d’avoir le plus d’informations, de changer de cas et de passer à une autre méthode de travail. Et cela n’est pas toujours évident.

Pourtant, dans votre itinéraire, ce n’est pas toujours une question d’incompréhension ?

Bien évidemment. Par exemple, lorsque de 1982 à décembre 1983, on me confia les destinées de l’Espérance Sportive de Tunis, il y avait une envie de fraîcheur, d’innovation. Mais il faut admettre que j’étais trop jeune encore, pas totalement prêt. On me chargeait de responsabilités trop lourdes, mais j’étais le choix du président de l’époque Naceur Knani. Il me couvait et pariait sur moi.

Il m’a nommé sans me le demander. Il est vrai que j’étais en charge des Cadets de l’EST, auteurs d’un parcours exceptionnel. On a inscrit 78 buts, n’en prenant que deux. Cette équipe-là était vraiment super.

Que manque-t-il le plus aujourd’hui

au sport-roi ?

Il n’ y a pas une réelle envie d’investir dans le foot. Il n’ y a ni volonté politique ni technique pour imposer un programme précis et ambitieux. C’est marrant: les entraîneurs sont déconsidérés chez nous. Dès qu’ils partent exercer dans le Golfe ou ailleurs, ils imposent le respect.

A votre avis, quel est le meilleur footballeur de tous les temps ?

Abdelmajid Ben Mrad et Tahar Chaïbi.

Votre modèle d’entraîneur ?

Arrigo Sacchi qui a révolutionné le football, Rinus Michels, Raymond Goathals, Carlos Bilardo. Chacun d’eux a apporté quelque chose.

Comment passez-vous votre temps libre ?

Plutôt en famille. Je joue de la guitare, j’ai écrit des textes que mes amis trouvent révolutionnaires: sur la Palestine, le conflit des générations, le bonheur… Comme un boomerang, le bruit de la justice résonne chaque fois que les usurpateurs amènent leur terrible hécatombe.

                                                                         

*Enfin, vous considérez-vous un sportif comblé ?

Je suis peut-être d’un autre temps. Ce qui a changé, c’est que l’argent arrive. Il est très mal utilisé. Et puis il n’est pas normal qu’un club au budget de 40 millions de dinars soit opposé dans une même division à un autre d’à peine un ou deux millions de dinars.

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